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PARTIE 1 : INTRODUCTION
PARTIE 2 : RÉTABLIR UNE CERTAINE VÉRITÉ
PARTIE 3 : NON-ALIGNÉ MAIS PAS FOU À LIER
Combien de fois n’a-t-on pas entendu dire que les dirigeants iraniens, avec comme figure de proue le machiavélique Ahmadinejad, sont des idéologues fanatiques et irrationnels? Aveuglés par un antisémitisme viscéral, ils sacrifieraient volontiers des millions d’Iraniens dans le simple but de “rayer Israël de la carte”. De même, obnubilés par un anti-américanisme primaire, nul ne sait à quoi ils seraient prêts dans leur combat idéologique contre le “Grand Satan”. De telles assertions sont aujourd’hui monnaie courante, aussi bien dans les médias que dans le discours des politiciens occidentaux, se propageant ainsi dans l’opinion publique. Alors, qu’en est-il réellement? Les Iraniens, fous? Pas si sûr… En effet, rien ne porte à croire que les dirigeants iraniens soient moins raisonnés que leurs homologues occidentaux. On peut ne pas partager les valeurs et l’idéologie des dirigeants en poste à Téhéran. Mais dire qu’ils sont irrationnels, c’est une autre histoire…
Sanctuariser un territoire menacé
Les inquiétudes évoquées se cristallisent immanquablement autour de la question du nucléaire iranien. D’aucuns s’interrogent sur les motivations profondes du programme iranien, craignant que ses visées soient de nature belliqueuse, notamment à l’égard de l’État hébreu. Toutefois, cette peur doit être relativisée, voire dissipée. En effet, un programme nucléaire de nature militaire, dont l’existence n’est d’ailleurs toujours pas avérée, semblerait plus répondre à des impératifs géostratégiques défensifs qu’à une animosité profonde à l’encontre d’Israël ou de quiconque. L’acquisition de l’arme atomique s’avérerait, dans le contexte régional et mondial actuel, un moyen rationnel de sauvegarder les intérêts vitaux de la République islamique d’Iran, à commencer par sa sécurité.
Téhéran a de nombreuses raisons objectives de se sentir vulnérable et menacé. Géographiquement d’abord, comme le montre bien la carte ci-dessus, le territoire iranien est littéralement encerclé par des pays proches, voire à la botte, des intérêts américains.1 Au nord, depuis novembre 2001 et la traque des réseaux d’Al-Qaïda, des facilités militaires étasuniennes ont été installées au Tadjikistan, en Ouzbékistan et au Kirghizistan. Ces bases militaires viennent compléter celles situées au sud dans les pays du Golfe, qui, à l’image de l’Arabie Saoudite, sont des alliés traditionnels des États-Unis. A l’est et à l’ouest, en Afghanistan et en Irak, un gouvernement central a été mis en place par les Américains. Au sud-est, bien que la population nourrisse un anti-américanisme virulent, le Pakistan est officiellement et historiquement pro-américain depuis la Guerre froide. Enfin, les alliances nouées de longue date par Washington avec la Turquie limitrophe et Israël viennent davantage alimenter ce sentiment de siège.
Cette vulnérabilité géostratégique ne serait pas tant problématique si l’Iran maintenait de bonnes relations avec les États-Unis. Mais, loin d’être au beau fixe, elles ont été pour le moins désastreuses depuis la Révolution islamique de 1979 qui porta les mollahs au pouvoir. Dès lors, des politiciens américains de premier plan n’ont cessé d’appeler de leurs vœux un changement de régime. A Téhéran, ces menaces sont perçues comme étant d’autant plus crédibles qu’en 1953, la CIA n’a pas hésité à intervenir en Iran afin de renverser le régime démocratiquement élu de Mossadegh car il n’était pas suffisamment aligné sur les positions américaines.2 Ce goût prononcé de la première puissance mondiale pour l’interventionnisme à outrance s’est encore vérifié en 2003, lorsque les Américains ont appliqué le dangereux concept de guerre préventive sur l’Irak. La même option est d’ailleurs aujourd’hui sérieusement envisagée contre l’Iran.3 En attendant, outre des sanctions économiques draconiennes qui asphyxient l’économie iranienne, une guerre souterraine contre Téhéran a d’ores et déjà été lancée. Dans ce cadre, des spécialistes iraniens du nucléaire ont été mystérieusement assassinés et des virus informatiques, développés conjointement par les États-Unis et Israël, se sont attaqués aux installations nucléaires iraniennes.4
Considérant cette vulnérabilité géostratégique ainsi que la menace que constitue le penchant interventionniste de l’Oncle Sam, ne serait-il pas rationnel pour l’Iran d’entreprendre l’acquisition d’une bombe nucléaire qui le prémunirait contre toute ingérence étrangère? Certainement. Cette démarche ne serait-elle pas même d’une certaine manière légitime? Dans l’absolu, non. Les armes nucléaires sont immorales et potentiellement dévastatrices. Rien ne pourra jamais totalement dédouaner la conscience de leurs détenteurs. Cependant, gardons à l’esprit que les neuf autres puissances nucléaires, dont l’étau régional constitué par Israël, le Pakistan et l’Inde, ont obtenu l’arme ultime uniquement dans une optique défensive de dissuasion, en particulier de par les menaces extérieures qui pesaient sur leur propre sécurité nationale.5 Seuls les États-Unis ont jusqu’ici utilisé la bombe atomique, rasant ainsi les villes de Hiroshima et Nagasaki en 1945… Moralement, les Américains sont d’autant moins crédibles dans leurs remontrances à l’encontre des Iraniens qu’ils ne se sont jamais offusqués des velléités nucléaires d’Israël, État qui n’a pourtant rien à envier à l’Iran en matière d’opacité.6 Deux poids, deux mesures. Mais quelle est donc la légitimité des donneurs de leçons?
« Le régime iranien est un acteur rationnel«
Certains ne se préoccupent pas tant des motifs qui sous-tendraient une potentielle acquisition de l’arme atomique par l’Iran, mais émettent plutôt d’importantes réserves quant à la capacité des dirigeants iraniens à la gérer rationnellement. L’arme nucléaire ne serait pas intrinsèquement problématique, tant qu’elle reste dans les mains de dirigeants raisonnés. C’est tout le débat sur l’irrationalité des dirigeants du Sud, dont émanent comme des relents de paternalisme mal déguisé. Alors est-il justifié de douter de la raison des dirigeants iraniens?
Si l’on s’en tient à la rhétorique, il est vrai que Téhéran n’a pas toujours fait dans la tempérance. En effet, les diatribes provocatrices auxquelles Ahmadinejad a habitué la communauté internationale sont souvent d’une violence rare. Soulignons toutefois que l’exemple paradigmatique utilisé pour attester de la folie des dirigeants iraniens ne résulte que de la récupération politique d’une citation infidèlement restituée et sortie de contexte. Selon la légende, le président iranien aurait appelé à “rayer Israël de la carte”. En réalité, Ahmadinejad aurait plutôt affirmé que “le régime qui occupe Jérusalem (een rezhim-e eshghalgar-e qods) doit disparaître des pages du temps (bayad az safheh-ye ruzgar mahv shaved)”.7 C’est l’avis de Juan Cole, professeur d’Histoire du Moyen-Orient à l’Université du Michigan, qui parle couramment le farsi. Plus révélateur encore, le Middle East Media Research Institute (MEMRI), organisme furieusement pro-Israël, traduit l’expression de manière similaire : « ce régime [doit être] éliminé des pages de l’Histoire« .8 De surcroît, il est important de noter que la fameuse “citation” est elle-même une citation du défunt ayatollah Khomeiny, père de la Révolution islamique.9 Loin donc d’appeler à la destruction physique de l’État hébreux, Ahmadinejad a emprunté des mots qui n’étaient pas les siens pour exprimer sa profonde opposition idéologique au régime sioniste10 et son souhait qu’il disparaisse un jour. L’exemple de cette citation factice, visant à la diabolisation absolue du personnage, illustre bien la manipulation médiatique et la propagande en action contre la République islamique d’Iran.
Malgré la dénonciation nécessaire de ce genre de manipulations, il n’en reste pas moins que la brutalité des propos de Ahmadinejad est à bien des égards choquante. Néanmoins, interpréter cette grandiloquence de manière trop littérale pourrait relever du fourvoiement. Il est permis de penser que ces harangues enflammées ne font en réalité que répondre à des contraintes liées à la politique intérieure.11 Ne bénéficiant pas d’un socle électoral solide, Ahmadinejad cherche vraisemblablement à unir la nation derrière lui contre un ennemi commun, l’Occident impérialiste. Force est toutefois de constater que cette rhétorique belligérante ne s’est jusqu’ici aucunement traduite dans les faits. En effet, l’Iran n’a agressé aucun autre État depuis plusieurs centaines d’années.12 Il ne revendique par ailleurs aucun territoire de ses voisins, avec la plupart desquels il entretient des relations apaisées. Au niveau des dépenses militaires, l’Iran fait pâle figure face à Israël, et a fortiori face aux États-Unis. Comme le rappelle justement Stephen Walt, son budget de défense ne représente certainement pas plus que le cinquantième de celui de Washington.13
Cette conduite somme toute raisonnable de la politique étrangère iranienne amène nombre de pointures de l’establishment militaire américain et israélien à s’accorder sur le fait que les dirigeants iraniens soient rationnels. L’actuel chef d’état-major des armées des États-Unis, le général Martin Dempsey, a récemment affirmé devant CNN : « Je peux vous dire que j’ai été confronté à cette question depuis que je suis arrivé au Commandement central en 2008. Et nous sommes de l’opinion que le régime iranien est un acteur rationnel« .14 Du coté israélien, le même son de cloche peut également être entendu. Meir Dagan, ancien dirigeant du Mossad, l’agence nationale de renseignement israélienne, a ainsi déclaré sur CBS : “Le régime en Iran est un régime très rationnel … sans doute que le régime iranien n’est pas tout à fait rationnel selon les critères de ce que j’appelle la pensée occidentale, mais il ne fait aucun doute qu’ils réfléchissent à toutes les conséquences de leurs actes.”15 Malgré tout, l’opinion de ces véritables spécialistes peine à percer le brouillard de suspicion qui flotte autour de Téhéran.
Conclusion
En somme, qu’on partage leurs orientations idéologiques ou non, nul doute que les dirigeants de la République islamique d’Iran sont très loin de la démence qu’on leur prête volontiers en Occident. Bien que peu démocratique et oppressif à l’interne, le régime iranien poursuit à l’international des politiques censées du point de vue de la sauvegarde des intérêts vitaux de son pays. Protéger un territoire vulnérable et menacé relève non seulement de la rationalité la plus élémentaire, mais également du devoir moral pour tout chef d’État. Pour ce faire, un programme nucléaire de nature militaire ferait tout à fait sens dans une perspective purement géostratégique.
Alors, au final, pas si fous ces Iraniens… Ou, en tout cas, pas plus que les autres! Les États-Unis étaient-ils plus rationnels à l’heure de s’embourber en Irak sans raison valable, et d’y dépenser des milliards de dollars dans une guerre absurde? De même, quelle légitimité ont-ils lorsqu’ils taxent les dirigeants iraniens de fondamentalistes religieux fanatiques, alors que leur propre président – Georges W. Bush – menait une politique étrangère dictée par la mission divine dont Dieu l’aurait investi?16
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Mais quelles seraient les conséquences concrètes d’une acquisition de l’arme atomique par la République islamique d’Iran? C’est ce sur quoi nous nous pencherons la semaine prochaine. Soyez au rendez-vous sur jetdencre.ch !
1 WALT, Stephen, “Top ten media failures in the Iran war debate”, Stephen Walt’s blog (walt.foreignpolicy.com), 11 mars 2012.
VICTOR, Jean-Christophe, “Le cauchemar géopolitique de l’Iran”, Le Dessous des Cartes, 4 octobre 2003.
2 RISEN, James, “Secrets of History: The CIA in Iran”, New York Times, 16 avril 2000.
3 COTTA-RAMUSINO, Paolo, HASSNER, Pierre et NORLAIN, Bernard, “Nucléaire iranien : toute attaque préventive serait une erreur fatale”, Le Monde, 18 avril 2012.
4 Times Topics: Iran. Consulté le 30 août 2012 sur:
http://topics.nytimes.com/top/news/international/countriesandterritories/iran/index.html
5 Walt, Stephen, op. cit.
6 ALGAZY, Joseph, “Le flou nucléaire israélien”, Le Monde Diplomatique, août 2005.
7 COLE, Juan, “Hitchens hackers an hitchens”, Informed Comment (Juan Cole’s blog), 3 mai 2006.
http://www.juancole.com/2006/05/hitchens-hacker-and-hitchens.html
8 Middle East Media Research Institute (MEMRI), 28 octobre 2005.
9 NOROUZI, Arash, “Amhadinejad n’a jamais dit: Israël doit être rayé de la carte”, The International Solidarity Movement, 6 octobre 2007.
10 Selon Larousse, le sionisme est défini comme le “mouvement dont l’objet fut la constitution, en Palestine, d’un État juif.”
11 Interview vidéo d’Hubert Védrine par Olivier Bailly, 11 juillet 2008.
12 LEUPP, Gary, ““The Stupidest Idea I Ever Heard”: The Irrationality of the Case against Iran’s Nuclear Program”, Counterpunch.org, 12 avril 2012.
13 Walt, Stephen, op. cit.
14 Interview vidéo du général Martin Dempsey par Fareed Zakaria, février 2012.
http://www.youtube.com/watch?v=2TtIpiXle98&feature=player_embedded
15 Interview vidéo de Meir Dagan par Lesley Stahl, 11 mars 2012.
16 MACASKILL, Ewen, “George Bush: ‘God told me to end the tyranny in Iraq’”, The Guardian, 7 octobre 2005.
Très fort comme d'hab! Conseil de lecture complémentaire: Iran : l'irrésistible ascension - Robert Baer http://www.amazon.fr/Iran-lirr%C3%A9sistible-ascension-Robert-Baer/dp/2070398897/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1352973051&sr=8-2