International Le 15 mai 2013

Guatemaya. Un procès pour que l’histoire ne se répète pas

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Guatemaya. Un procès pour que l’histoire ne se répète pas

27ème jour du procès : hommes et femmes ixil devant la Cour de justice.
© mimundo.org / James Rodriguez.

Guatemaya1. Un procès pour que l’histoire ne se répète pas

Un procès historique s’est déroulé au Guatemala. Difficile pourtant de savoir quel en est le sujet, puisque malheureusement très peu de médias en parlent. Il se passerait donc autre chose au Guatemala que des assassinats violents et de la délinquance due au narcotrafic? Les Mayas ne seraient donc pas que des prédicateurs de la soi-disant fin du monde?

Non, car le Guatemala est aujourd’hui empreint d’une longue lutte contre l’impunité. Le passé et le présent de ce pays d’Amérique centrale sont abattus par la violence, le racisme et les injustices, et une partie de la population en tout cas essaie tant bien que mal de s’en relever. En effet, pour la première fois de l’histoire, un ancien dictateur a été jugé et condamné pour crime de génocide dans son propre pays. Ceci est le fruit de nombreuses années de travail d’associations de témoins, d’avocats, d’ONGs locales et internationales qui luttent pour que leur cause soit reconnue.

Leur cause? Que justice soit faite pour les crimes de génocide commis entre 1982 et 1983 envers les Ixil, une population maya du département du Quiché. Bien qu’en fait, le conflit armé ait duré de 1962 à 1996. Bien qu’il y ait eu beaucoup plus de régions dans lesquelles des Mayas ont été massacrés de manière totalement arbitraire, sous prétexte qu’ils étaient tous des guerilleros communistes. Mais c’est dans cette région, et à cette période, que l’on dénombre le plus de morts, et c’est aussi dans cette région que l’intention de crime de génocide a pu être prouvée, après la découverte de plusieurs plans militaires2.

La question subsiste alors : comment se fait-il que ce procès passe complètement inaperçu? Nous sommes pourtant en train de parler d’abominables crimes, reconnus par le droit international et perpétrés par un dictateur, son gouvernement et ses militaires. L’ONU elle-même a admis qu’il y avait eu génocide dans ce pays et a encouragé les juridictions guatémaltèques à conclure l’affaire.3 Comment se fait-il qu’un procès d’envergure similaire, celui du Général Pinochet, ait été bien plus médiatisé? L’implication de l’Espagne puis de la Grande-Bretagne4 à l’époque y était certainement pour quelque chose car elle avait, notamment, internationalisé le procès. Mais Rigoberta Menchu, première indigène à recevoir le prix Nobel de la paix, a également essayé de se tourner vers les juridictions espagnoles, sans pour autant que la communauté internationale ne se réveille. Cela n’avait d’ailleurs finalement pas abouti5.

On pourrait également se demander si les États-Unis n’ont pas intérêt à ce que l’affaire ne s’ébruite pas, en raison de leur implication dans le conflit à l’époque. En effet, l’administration de Ronald Reagan aurait apporté un soutien militaire au gouvernement guatémaltèque afin « d’exterminer la guérilla marxiste »6. Cela dit, il semble que les médias américains soient ceux qui aient le plus médiatisé l’affaire. Ce qui paraît plus évident, en revanche, est que tant qu’il n’y a pas d’intérêts particuliers pour les grands de ce monde à ce qu’un tel procès aboutisse, il n’y a pas lieu d’en débattre. Bien au contraire, certains pays auraient plutôt intérêt à ce que l’on ne parle pas trop des hommes de maïs. Car même si aujourd’hui, il n’est plus question de massacres en masse, le racisme à l’encontre de la population maya perdure sous d’autres formes, notamment à travers un certain néo-colonialisme : soit le rôle prédominant d’entreprises françaises ou canadiennes dans l’exploitation des terres guatémaltèques. Cela entraîne de nombreuses violations des droits des indigènes, telles que le déplacement forcé de populations. Plusieurs leaders de communautés ont même été assassinés ou ont disparu dans des circonstances non élucidées ces derniers mois7. En d’autres termes, les multinationales n’ont aucun intérêt à ce que l’on parle du Guatemala, sous quelque forme que cela soit.

Par ailleurs, le président du Guatemala lui-même, Otto Perez Molina, refuse d’admettre qu’il y ait eu génocide dans son pays, ce qui n’est pas vraiment étonnant étant donné qu’il aurait participé au massacre8. Non seulement donc, cette lutte contre l’impunité n’est pas médiatisée au niveau international, mais il semble qu’au niveau national, seule une partie de la population se sente concernée, et que ceux qui n’ont pas été victime du conflit font ainsi la sourde oreille.

On ne peut alors qu’admirer la détermination dont la population maya fait preuve. Certes, les témoins sont entourés et conseillés par des avocats de la capitale, ainsi que par d’autres ONGs. Mais pour la plupart, ils ne parlent pas, ou très peu espagnol, ils vivent de leurs champs de maïs et de haricots blancs, et ce, dans des conditions plus que précaires. Pourtant, ils arrivent encore à trouver le temps, et surtout le courage de faire de longs voyages en camionetta depuis leur communauté jusqu’à la capitale pour faire part de leur témoignage. Et ce malgré les menaces qui pèsent constamment sur eux : ils sont en train de dénoncer des crimes commis par leur propre gouvernement et ils ont pour seule protection des volontaires d’ONGs internationales. Il suffit de discuter avec l’un d’eux pour comprendre pourquoi ils tiennent tant à participer à ce procès, pourquoi ils veulent être entendus. C’est une façon de légitimer la douleur née suite aux atrocités qu’ils ont subies.

Don Tiburcio, un homme d’une septantaine d’années de la communauté de Xix, a pu témoigner lors du procès : il raconte comment, sous ses yeux, les militaires ont brûlé vives des familles entières. Comment ils ont éventré une femme enceinte et jeté son fœtus contre le mur d’une maison. Il raconte sa fuite ; comment lui et ses semblables ont dû survivre dans les montagnes de Santa Clara, en évitant les bombardements des hélicoptères et en se nourrissant de racines. Il s’est finalement fait enlever, torturer pendant des semaines. Puis, lui-même déclare qu’un ange l’a sauvé, que c’est comme cela qu’il a réussi à s’échapper. Depuis que le conflit s’est arrêté, il a pu fonder une nouvelle famille, mais il ne manque pas une seule occasion de raconter son histoire à qui veut bien l’entendre9.

Son parcours n’est malheureusement qu’un échantillon de toutes les horreurs que le peuple maya a enduré au Guatemala. Ils ont été pris pour cible afin de les faire exterminer; hommes, femmes et enfants, et cela sous prétexte qu’ils étaient tous des guérilleros communistes. Il est alors important de comprendre ce qu’il s’est passé, « para que se conozca, para que no se olvide »10. Mais avec la remilitarisation mise en place par le gouvernement du président Otto Perez Molina et l’implantation des multinationales, ce procès ne représente que la pointe de l’iceberg et la lutte est encore longue avant que le peuple maya ne soit plus discriminé.

Afin de mieux comprendre la situation complexe de ce pays, nous vous proposons plusieurs articles développant différentes problématiques propres au conflit armé ou relatives à la situation actuelle. Ceux-ci paraîtront dans les semaines à venir sur jetdencre.ch.

Image « Guatemala Nunca mas » (Guatemala, plus jamais) : tirée du site de la ODHAG (Oficina de Derechos Humanos del Arzobispado de Guatemala) : http://www.odhag.org.gt/03publicns.htm

« Guatemala Nunca mas » (Guatemala, plus jamais), tirée du site de la ODHAG (Oficina de Derechos Humanos del Arzobispado de Guatemala) : http://www.odhag.org.gt/03publicns.ht

 

Vidéo de témoins, dont Don Tiburcio (mentionné dans le texte), faisant part des atrocités qu’ils ont vécues. Publication dans The Guardian (Grande-Bretagne): http://www.guardian.co.uk/commentisfree/video/2013/may/10/guatemala-genocide-trial-victim-video

 


1 Titre de la Chanson de Barrio Candela.

2Récapitulation des procédures ayant amené à l’ouverture du procès pour génocide contre le Général Rios Montt : http://nisgua.blogspot.ch/2012/03/preliminary-hearing-of-jose-efrain-rios.html.

3 Déclaration du Conseiller spécial du Secrétaire Général de l’ONU pour la prévention du Génocide : http://www.riosmontt-trial.org/2013/04/adama-dieng-un-special-advisor-on-prevention-of-genocide-calls-for-rios-montt-trial-to-be-completed/ et Rapport de la Commission pour l’Éclaircissement Historique, financé par l’ONU : http://www.documentcloud.org/documents/357870-guatemala-memory-of-silence-the-commission-for.html.

4 Résumé des faits et procédure du procès à l’encontre du Général Pinochet : http://www.trial-ch.org/fr/ressources/trial-watch/trial-watch/profils/profile/50/action/show/controller/Profile/tab/fact.html.

7 Plus d’informations sur le site de l’ONG française Collectif Guatemala : http://www.collectifguatemala.org/index.php?tag=droits

8 Notamment dénoncé par un ancien « Kaibil » lors du procès : http://nisgua.blogspot.ch/2013/04/genocide-on-trial-day-10-expert.html.

9 Propos recueillis en tant qu’observatrice internationale pour l’ONG Peace Watch Switzerland lors de visites à Tiburcio Utuy, ainsi que sur le site de Nisgua: http://nisgua.blogspot.ch/2013/04/genocide-on-trial-day-7-i-am-telling.html

10 « Pour que cela se sache, pour que l’on n’oublie pas », phrase devenue culte, notamment utilisée pour le titre d’un blog très actif qui retrace les avancées des procès du conflit armé au Guatemala : http://paraqueseconozca.blogspot.ch/.

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